LE MARAIS 1ère partie AUTOUR DE LA PLACE DES VOSGES

Mardi 16 avril 2013 // ► MARAIS (3)

Cette partie du Marais, aujourd’hui si commerciale et "rangée", fut à deux reprises le centre de la vie parisienne.
Aux 14ème et 15ème siècles tout d’abord, après que Charles V, suite à ses frayeurs lors de l’insurrection de 1358, ait installé sa Cour dans l’Hôtel St Pol, à l’abri de la Bastille qu’il venait de faire construire — ce qui, entre parenthèse, confirme dès l’origine la destination de cette forteresse à un rôle défensif… contre le peuple de Paris !
Les rues du quartier gardent le souvenir de ce séjour royal ; surtout de ses jardins et de sa ménagerie : rues Beautreillis, de la Cerisaie, des Lions St Paul…
Son fils et successeur, Charles VI le Fou, ne quittera pas ce secteur si bien "sécurisé" mais préférera s’installer, de l’autre côté de la rue St Antoine, dans la Maison royale des Tournelles, sans doute plus confortable. Celle-ci restera le séjour parisien des rois de France jusqu’à la mort d’Henri II.

Et à nouveau au 17ème siècle, autour de la place Royale — notre actuelle place des Vosges — bâtie à l’initiative d’Henri IV ; la plus belle place du Paris de l’époque, qui disputera au Pont Neuf le titre de "cœur de la capitale".
Une opposition "Est-Ouest" déjà — alors inversée — entre le Paris aristo et le Paris populo.
Mais les privilégiés vont finir par repérer le sens des vents dominants, et investir du coup le "bon côté" de la ville ; prenant soin d’aménager les "voiries" de l’autre. Une situation qui perdure aujourd’hui. Normal : les vents ni les temps n’ont pas encore vraiment changé…

Et pour le coup, bien que situé entre les bouillants quartiers du Beau Bourg, du Temple et du Faubourg St Antoine, ce "Marais" ne sera jamais à l’avant-garde des mouvements révolutionnaires qui jalonnent notre Histoire. Il maniera toujours plus volontiers la plume — et le tiroir caisse — que la pique ou le fusil…

Notre balade partira aujourd’hui du pied de la statue de Beaumarchais, devant le 10 de la rue St Antoine, presque en face l’entrée de la Bastille, située à l’emplacement de l’actuel n° 5.
Mais ce secteur a été décrit sur ce site à l’occasion d’une autre balade "autour de la Bastille". Nous laisserons donc le promeneur curieux s’y reporter.

Prenons la rue St Antoine en direction de l’ouest, vers le centre de la ville

C’est une des plus anciennes voies de la capitale. Elle existait déjà à l’état de chemin du temps des Parisii. Elle devint voie romaine, prolongeant un des axes principaux du carrefour que constituait le site de Lutèce. Elle conduisait vers Melun et l’Est de la Gaule.
Elle relie l’Hôtel de Ville à la Bastille. Autant dire qu’elle a vu passer bien des troupes et des cortèges.

Impasse Guéménée

C’est l’emplacement de l’entrée de l’ancien Hôtel des Tournelles, demeure parisienne des rois de France de 1407 à 1563, sous Charles VI, Charles VII et Charles VIII, Louis XI, Louis XII, François 1er et Henri II. Catherine de Médicis le quitta et le fit raser après la mort de son époux dans le fameux tournoi qui l’avait opposé à Montgomery.

Rue de Birague

Elle fut rebaptisée rue Nationale pendant la Révolution, en 1792.
10 : Demeure de Joseph Lacanal, dit Lakanal, député Montagnard, président du Comité d’Instruction publique pendant la Révolution. Il créa les "écoles centrales", c’est-à-dire les lycées de l’époque, en 1795.

Place des Vosges

Elle fut donc le centre de la vie parisienne pendant tout le 17ème siècle.
Elle a été aménagée à partir de 1605 sur l’emplacement de l’ancienne cour de l’Hôtel des Tournelles où se tenait, après la destruction de celui-ci par Catherine de Médicis en 1565, un marché aux chevaux le jour et une cour des miracles la nuit.
Elle servit de champ clos à de nombreux duels, dont celui qui opposa le 27 avril 1578 les “mignons” d’Henri III — Caylus, Maugiron et Livarot — aux "créatures" de Guise — Entragues, Ribérac et Schomberg ; un massacre !
Ses arcades furent le lieu de prédilection des "Précieuses", ridiculisées par Molière.
En 1639, on érigea en son centre une statue équestre de Louis XIII dont on peut voir aujourd’hui la copie, l’originale ayant été détruite par les sans-culottes le 11 août 1792, au lendemain de la prise des Tuileries. Elle ne fut pas la seule à subir ce sort ; presque toutes les représentations royales furent abattues ce jour là à Paris. Que de haine ! Mais comment l’expliquer ?!... D’aucuns se posent encore la question, en dépit de l’évidence des siècles de domination de classe, d’injustices et d’humiliations subies. Mais que les esthètes se rassurent : la prochaine fois il y aura plus de monde mais moins de statues à renverser ; République oblige...
Jusqu’alors place Royale, elle fut rebaptisée place des Fédérés, puis de l’Indivisibilité en 1793, et enfin place des Vosges en 1800, en l’honneur du premier département qui ait payé ses impôts à une République qui n’en avait cependant plus pour longtemps.
Le 20 mars 1848, 10 000 compagnons de tous les devoirs et de tous les corps d’État s’y réunirent à l’initiative d’Agricol Perdiguier, pour prêter le serment d’en finir avec les querelles qui divisaient le monde ouvrier.
Elle avait alors pris, le temps d’une révolution, le nom de place de la République ; celle que nous connaissons aujourd’hui étant encore à cette époque la place du Château d’eau.
Le 24 juin de cette même année, les insurgés y dressèrent une barricade. Elle était commandée par Racary, un ouvrier mécanicien. Les combats y furent particulièrement violents.
Pendant le siège de Paris, en 1870, la place est transformée en parc à canons. Y sont entreposées une centaine de pièces. Le 16 mars 1871 la Garde nationale Fédérée s’oppose à l’armée venue les enlever sur ordre d’Adolphe Thiers qui s’était engagé à les remettre aux Prussiens. Certains avaient été récupérés in extremis à la gare d’Orléans, prêts à être embarqués pour les livrer à Bismarck. Deux jours plus tard, à Montmartre, dans les mêmes circonstances, se déclenchait la Commune.
Le 29 juin 1942, Léon Pakin et Élie Wallach, membres des FTP-MOI, étaient arrêtés ici lors d’une action de sabotage dans un atelier de fourreur travaillant pour la Wehrmacht.

Faisons le tour de la place dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.
4 : Demeure du marquis de Favras, auteur d’un projet d’enlèvement de Louis XVI pour le compte du futur Louis XVIII, ainsi que d’assassinat de La Fayette et de Bailly, alors respectivement commandant de la garde nationale et maire de Paris, tenus responsables de la "séquestration" du roi aux Tuileries. Favras sera pendu en place de Grève le 19 février 1790.
6 : Hôtel de Rohan-Guéméné, demeure du chevalier de Rohan. Il y héberge Gilles du Hamel d’Atréaumont, dit Latréaumont, principal organisateur d’un complot visant à instaurer, avec l’appui des Pays-Bas, une république en Normandie d’abord, puis dans le reste de la France en renversant Louis XIV. L’affaire est assez avancée lorsqu’elle est éventée. Rohan est arrêté ici-même en 1671, condamné et décapité devant l’entrée de la Bastille : petit "privilège" de la noblesse ; ses complices, eux, sont pendus. Latréaumont quant-à-lui est tué lors de son arrestation.
Demeure de Victor Hugo d’octobre 1832 à 1848, dans un appartement situé au 2ème étage aujourd’hui transformé en musée à la gloire du poète, adulé d’un peuple qui lui saura gré d’avoir lutté pour l’amnistie des Communards et contre la peine de mort, et qui du coup lui pardonnera d’avoir toujours été en retard d’une révolution.
C’est entre autres à cette époque qu’il sauva Armand Barbès de l’exécution capitale, en écrivant en sa faveur à Louis-Philippe après l’insurrection de 1839.
Habita également dans cet immeuble le saint-simonien Pierre Dugied.
Et c’est à cette même adresse que Dumas père situe la résidence de Milady de Winter. Il plagie un peu, ce cher Alexandre, en copiant le personnage de la Miledi dans les "Mémoires de Mr. d’Artagnan" de Courtilz de Sandras ; lui-même s’étant inspiré d’un personnage réel , Lady Carlisle, belle intrigante de la cour de Jacques 1er d’Angleterre. Au passage Dumas commet en donnant une telle adresse un petit anachronisme, les immeubles, sous Louis XIII, n’étaient pas encore numérotés
6 bis : Demeure, chez ses parents à l’ex n° 8, de Théophile Gautier, de 1728 à 1834. Il a alors 17 ans. C’est ici qu’il commence la rédaction de son premier roman, "Melle de Maupin", qu’il publiera en 1835.
14 : Mairie de l’ex 8ème arrondissement, de 1793 à 1860.
Les insurgés désarment les gardes municipaux — les "cipeaux" — en faction devant ce bâtiment le 24 février 1848.
18 : Demeure d’Alphonse Daudet en 1876. Il rédige là ses "Rois en exil".
24 : Il subsiste dans cette belle cour une des dernières pompes à eau->http://cfpphr.free.fr/invpomp75.htm] de ce modèle — à roue — dans Paris ; 93 recensées à ce jour. Le Marais en recèle sans doute la plus forte concentration…

Rue du Pas de la Mule


3 : À l’autre bout de la rue se trouvait vers 1645 le cabaret de la Fosse aux Lions, tenu par la Coiffier. Il était fréquenté par de nombreux écrivains et poètes, parmi lesquels Tallemant des Réaux, Vincent Voiture, Girard de Saint-Amant

Rue des Tournelles vers le nord

48 : Pompe à eau en cuivre sur la droite dans la première cour.
56 : Pompe à eau en cuivre sur la gauche dans la cour.
58 : Demeure de Merlin de Thionville, député à la Convention, nommé par elle représentant aux Armées. Il siégera plus tard au Conseil des Cinq-Cents. Il meurt ici le 14 septembre 1833.
70 : Demeure de Félix Pyat, journaliste républicain, membre de la Commune ; son "mauvais génie" selon Karl Marx. Personnage encore aujourd’hui très controversé.
88 : Demeure de Charles Beslay alors qu’il était représentant du peuple à l’Assemblée constituante issue de la révolution de février 1848. Il fut alors partisan de la répression contre les Insurgés de Juin.
Ami et disciple de Proudhon, adhérant à l’Association Internationale des Travailleurs en 1866, il sera le doyen des membres de la Commune en 1871. Nommé délégué auprès de la Banque de France, il aura une attitude très conciliatrice vis-à-vis de ses dirigeants qui, pour le remercier de sa "pusillanimité", obtiendront un sauf conduit lui permettant de s’enfuir pendant la Semaine sanglante. Proudhonisme, quand tu nous tiens !...

Bd Beaumarchais à droite


76 : Demeure, de 1850 à 1854 d’Eugène-François Vidocq. En 1851, il expose à la fenêtre de cet appartement une banderole portant l’inscription : "Louis-Napoléon, Messie du 2 décembre 1851, sois béni !". Cela donne une idée de la personnalité du fondateur de la Sûreté nationale, ancien repris de justice passé au service de tous les régimes, grand spécialiste de la répression contre-révolutionnaire, n’hésitant pas à employer ses anciens compagnons de truanderie pour cette sinistre besogne. Loin, très loin, du personnage sympathique du fameux feuilleton télé ; n’est-il pas !?
69 : Demeure de Paul Féval père, auteur du Bossu en 1857, mais aussi de 90 autres romans moins connus.
63 : Demeure de Charles Nodier avant sa nomination à la bibliothèque de l’Arsenal en 1824.

Rue St Gilles

10 (peut-être au 13) : Demeure de Jeanne de Valois-Saint-Rémy, comtesse de la Motte-Valois, personnage central de l’affaire du collier qui finit de détruire la réputation de Marie-Antoinette en 1782 et lui valut le surnom de "Madame Déficit". C’est ici que l’intrigante comtesse sera arrêtée le 6 août 1785.
12-14 : Hôtel de Venise, résidence des ambassadeurs de la cité des Doges à Paris, de 1652 à 1903. Il en subsiste quelques vestiges.
Ce fut la cachette de Gustave Courbet pendant la Semaine sanglante, chez son ami A. Lecomte, fabricant d’instruments de musique. Dénoncé, il fut arrêté le 7 juin 1871.
Cour pittoresque qui vient de connaître une rénovation comme on voudrait en voir plus souvent dans notre belle cité.
17 : Demeure de Mousseron, entrepreneur de fumisterie, membre du Comité républicain du 3ème arrondissement en septembre 1870. Ces Comités républicains qui allaient se fédérer en Comité central des Vingt arrondissements et jouer un rôle déterminant dans le déclenchement de la Commune.

Rue de Béarn

Elle prit en 1792 le nom de rue des Fédérés, puis celui de rue Nationale, ne faisant qu’un avec l’actuelle rue de Birague.
Balzac fait demeurer, dans ce qui était alors la chaussée des Minimes, Élie Magus, expert en tableaux clochardisé, qui escroque le Cousin Pons dans son roman éponyme.
Une école congréganiste qui s’y trouve alors sera laïcisée par la Commune le 23 avril 1871.
12 : Emplacement du couvent des Minimes.
Son portail était un chef-d’œuvre de Mansart que le crétinisme administratif n’a pas jugé bon de préserver lorsqu’il a fait rénover l’horrible caserne de gendarmerie construite à sa place en 1823.
Sa congrégation constitua la représentation de l’autorité du pape à Paris.
Il fut au début du 17ème siècle un centre de la vie scientifique française, et même européenne.
De 1619 à 1648, les pères Marin Mersenne et Jean-François Niceron — grand spécialiste des anamorphoses — y reçurent toute l’intelligentsia de l’époque baroque : Girard Desargues, Blaise Pascal, Pierre Gassendi, Gilles Personne de RobervalRené Descartes y séjourna en 1622. Sa bibliothèque comportait 25 000 volumes.
Mersenne, un des plus grands érudits de son temps, fut à l’origine de l’invention du télescope en 1628.
Mais ce couvent fut aussi un des hauts lieux de l’orthodoxie catholique. Il fut en 1623 le quartier-général de la lutte contre les "Mal-pensants", les "libertins" de la Confrérie des Bouteilles : Théophile de Viau, Saint-Amant, Guez de Balzac… Mersenne y mena une âpre polémique contre les idées de Giordano Bruno.
À partir du 21 mai 1790, sa chapelle abrita successivement plusieurs sections révolutionnaires : celles de la Place Royale jusqu’en 1792, de la Place des Fédérés en 92 et 93, de l’Indivisibilité de 93 à 95.
Le 18 mars 1871, jour du déclenchement de la Commune, Jean-Louis Pindy occupa la caserne avec deux bataillons de la 3ème légion de la Garde nationale Fédérée.
Pendant l’Occupation nazie, des gendarmes, dont Roland Motot, alias Rocambole, Léonard Demaison, Arnaud Billard... constituèrent à l’automne 1940 un groupe qui mena des actions de résistance contre le STO.
Mais la caserne constituera aussi, le 14 mai 1941, un des points de rassemblement sur convocation des premiers juifs étrangers envoyés en déportation : la "rafle du billet vert".

Nous reprenons le tour de la place des Vosges

28 : Belle cour typique du Marais, datant de 1612.
21 : Le cardinal de Richelieu aurait séjourné ici, chez son beau-frère, en 1627. Mais rien ne prouve qu’il était présent le 12 mai, lorsque Montmorency-Bouteville, Rosmadec des Chapelles, le chevalier de La Berthe, Guy d’Harcourt de Beuvron, le baron de Bussi d’Amboise et un nommé Chocquet vinrent par provocation se battre en duel sous ces fenêtres. Bussi d’Amboise se fit tuer sur place, et les autres protagonistes durent fuir la colère du "Grand satrape". Pas assez promptement pour deux d’entre eux ; Montmorency et des Chapelles furent décapités en place de Grève quelques jours plus tard. On ne plaisantait pas avec les édits de son éminence.
Ce même Hôtel devint la propriété du maréchal de Richelieu, son arrière petit-neveu, en 1659 ; peut-être celle d’Alphonse Daudet en 1877 ; puis plus récemment celle de Georges Simenon.
17 : Demeure, de 1678 à 1682, de Jacques-Bénigne Bossuet, surnommé l’Aigle de Meaux, évêque de ladite ville, célèbre prédicateur et polémiste.
13 : Il subsiste un puits sur la gauche dans cette cour.
11 : Demeure de Marie de Lon, dite Marion Delorme ou de Lorme ou de l’Orme. La célèbre courtisane tint là un salon littéraire renommé de 1639 à 1648. Elle a inspiré plusieurs dramaturges, dont Victor Hugo.
Ce fut également, plus tard, une des adresses parisiennes d’Alexis de Tocqueville, écrivain, politologue et historien de la Révolution française.
9 : Hôtel de Chaulnes abritant un musée des objets insolites en argent.
L’appartement du 1er étage fut acheté peu avant sa mort, en 1858, par la comédienne Rachel, de son vrai nom Elisabeth-Rachel Félix, dite Melle Rachel. Elle ne l’habita jamais.
1 bis : Marie de Rabutin-Chantal, future marquise de Sévigné, naquit ici le 6 février 1626.

Revenons un peu sur nos pas, dans l’angle sud-ouest de la place.

Nous pénétrons dans l’Hôtel de Sully

Nous allons traverser de part en part ce magnifique ensemble de bâtiments et le jardin, îlot de calme dans un monde de bruit et de fureur...
Typique du style Louis XIII, il fut construit entre 1625 et 1630, sans doute par l’architecte Jean Androuet du Cerceau.
Il abrite aujourd’hui la caisse nationale des Monuments historiques.
C’est en sortant de cet Hôtel par la rue St Antoine, comme nous allons le faire aujourd’hui, que Voltaire se fit bastonner, en janvier 1726, par les sbires du chevalier de Rohan-Chabot pour avoir répondu à ce dernier qui, jaloux du succès du jeune auteur auprès d’Adrienne Lecouvreur, lui aurait sorti : "Arouet ? Voltaire ? Enfin, avez-vous un nom ?", "Mon nom je le commence, vous finissez le vôtre". Et toc ! Mais devinez qui se retrouva enfermé à la Bastille pour cette agression ?… Voltaire, bien sûr ! Il est vrai qu’entre temps, notre futur grand philosophe avait pris des cours chez un maître d’armes en vue de demander des comtes à l’agresseur...

Rue St Antoine à droite

C’est ici, devant l’actuel Hôtel de Sully, qu’avait été aménagée la lice du tournoi dont nous avons déjà parlé, dans lequel Henri II fut mortellement blessé par la lance de Montgomery le 30 juin 1559. Il mourut 10 jours plus tard à l’Hôtel des Tournelles. On décapita plusieurs condamnés afin qu’Ambroise Paré puisse étudier la physiologie de l’œil avant de tenter de l’opérer. Une recherche médicale pour le moins "expéditive" !...
87 : Premier siège du journal "Der deutsche Steuermann", créé en juillet 1844 par l’ambassade de Prusse pour concurrencer le Vorwärts socialiste auprès des dizaines de milliers d’ouvriers allemands qui travaillaient en France à l’époque. Marx et Engels qui étaient venus à Paris pour créer la revue "les Annales franco-allemandes" collaboraient au Vorwärts, membres du PCF — Pierre Meunier avait été secrétaire de Maurice Thorez — qui accueillirent Jean Moulin après sa première arrestation, en 1940.

Rue d’Ormesson

1-9 : Emplacement de l’église Ste Catherine. Jean-Baptiste Chemin-Dupontès — son fondateur —, Valentin Haüy, La Revellière-Lépeaux, Dupont de Nemours, Marie-Joseph de Chénier… y participèrent aux premières cérémonies du culte théophilanthropique.
Elle sera vouée, du 1er septembre 1796 à 1798, au culte de la Raison.

Place du Marché Ste Catherine

Ah, Paris !...

Rue Caron

Rue de Jarente à droite

4 : Belle cour pavée, typique du Marais du 17ème siècle. Elle date de 1784.
2 : Impasse de la Poissonnerie au fond de laquelle se trouve la fontaine du même nom, ou fontaine de Jarente, qui alimentait le quartier, puis le marché Ste Catherine depuis 1783.

Rue de Turenne à gauche

31 : Demeure d’Eugène-François Vidocq en 1849.
34 : Demeure de Libéral Bruant, architecte des Invalides, de la Salpêtrière, de Notre-Dame des Victoires.
35 : Demeure de l’architecte Michel Villedo dessinée par lui-même en 1637.
37 : Hôtel de Joyeuse, dans lequel était établie la pension LepÎtre, à l’ex n° 9 de la rue St Louis. Le jeune Honoré de Balzac y logea alors qu’il faisait ses études au collège Charlemagne en 1815. Il la cite au début du "Lys dans la vallée".
38 : Le 3 avril 1871, Marie Manière, soutenue par Antoine Demay, membre de la Commune, et par Bidal, président de la Commission des Écoles, crée ici un atelier-école laïc pour filles de plus de 12 ans ; la première école professionnelle féminine. Jules Ferry y aurait peut-être pensé, mais il venait de fuir à Versailles…
45 : Demeure de la famille Tyszelman. Le fils, Samuel, dit Titi, fait partie d’un groupe des Jeunesses Communistes, avec Élie Wallach, Georges Ghertman, Charles Wolmarck… Il est arrêté lors de la manifestation organisée par le PCF à Strasbourg St Denis le 13 août 1941. Il sera fusillé à Verrières le 19 avec Henri Gautherot.
49 : Demeure, pendant le siège de Paris en 1870, de Charles Amouroux, membre de la loge "Les amis de la Tolérance", qui sera bientôt élu membre du Conseil de la Commune. Un orateur hors pair, faisant preuve d’un certain courage devant le conseil de guerre qui le condamnera à la déportation, mais qui, une fois en Nouvelle Calédonie, collaborera avec ses geôliers au point d’organiser un commando de répression contre les Kanaks révoltés.

Rue St Gilles

Rue de Villehardouin

12 : Demeure de Joseph Fournaise, ouvrier en instruments d’optique, un des fondateurs de l’Association Internationale des Travailleurs, condamné dans le 3ème procès de l’A.I.T. en juin 1870. Il avait été l’un des délégués ouvriers à l’exposition universelle de Londres en 1862.

Rue de Hesse

Nous pénétrons dans la roseraie du jardin du Grand Veneur.
Une petite halte s’impose dans ce havre de paix en plein Paris.

Rue du Grand Veneur

Rue des Arquebusiers en face

Le terrain d’entraînement de cette milice parisienne se trouvait juste en face de nous, de l’autre côté du boulevard Beaumarchais, sur un ancien bastion de l’enceinte de Louis XIII où l’auteur du Barbier de Séville se fit construire plus tard un superbe Hôtel particulier.

Bd Beaumarchais à gauche

Il fut précisément aménagé sur la levée de terre de cette enceinte, reprise de celle de Charles V, rasée par Louis XIV en 1676.
C’est dans ces parages que se trouvait vers 1693 l’échoppe de tonnelier de Jean Garthauszien dont le fils Louis Dominique, qui avait pris le nom de Bourguignon, allait devenir célèbre pendant la Régence sous le pseudonyme — déformation du nom paternel d’origine — de "Cartouche".
Le 19 mars 1871, au lendemain du déclenchement de la Commune, se produisirent sur ce boulevard, aux abords de la Bastille, des heurts entre les gardes nationaux Fédérés et ceux dits "de l’Ordre". Ils firent plusieurs blessés.
Napoléon Gaillard, cordonnier, président de la Commission des barricades de la Commune, fit construire ici une des 18 barricades armées de canons ordonnées le 12 avril 1871 par le général Rossel.
96 : Appartement loué au 4ème étage par Dumas père pour sa maîtresse du moment, Isabelle Constant, en 1850 et 1851.
113 : Café de la Petite Chaise où fut exposée, après son massacre à la prison de la Force, la tête de la princesse de Lamballe. Après une macabre procession, elle venait d’être présentée à Marie-Antoinette devant le donjon du Temple, le 3 septembre 1792.
Un puits du 17ème siècle subsiste dans le réduit des poubelles.

Rue St Claude

1 : Hôtel de Bouthiller, demeure de Joseph Balsamo, autoproclamé comte de Cagliostro, célèbre aventurier et audacieux charlatan, durant son séjour à Paris du 30 janvier 1785 à 1795. Impliqué dans l’affaire du collier, il fut expulsé de France.
20 : Demeure de Charles Louis Bernay, directeur à partir du 1er juillet 1844 du Vorwärts (En avant) ; feuille à laquelle collaborèrent Heinrich Heine, Arnold Ruge, Friedrich Engels... et Karl Marx pour un unique article. Il le transforma dès le 3 du même mois en "Revue allemande de Paris". Mais le titre fut repris par le parti Social-démocrate allemand de 1891 à 1933.

Rue de Turenne à droite

68 bis : Église St Denys du St Sacrement, siège du club Molière pendant la Commune, à partir du 3 avril 1871.
75 : Puits gravé "1623" sous le porche à gauche.
76 : Demeure de la famille de Launay, gouverneurs "geôliers" de père en fils de la prison de la Bastille. Le père n’avait pas hésité à faire assassiner des prisonniers sur ordre d’Antoine de Sartine. Quant-au fils, qui avait fait tirer sur les parisiens le 14 juillet 1789, il finit lynché par la foule quelques heures plus tard.
Là encore, une pompe à eau subsiste dans la cour.

Rue Debelleyme

10 : Demeure d’Armand Génotel, membre de la commission de la Fédération de la Garde nationale, délégué à la Commune pour le 3ème arrondissement en 1871.
12 : Demeure d’Émile Landrin, ciseleur sur bronze, blanquiste, membre du second Bureau de l’Association Internationale des Travailleurs en 1867.
14 : Encore une adresse d’Eugène-François Vidocq, 14 rue Neuve St François. Il bougeait décidément beaucoup, cet ancien truand devenu super-flic. Aurait-il eu encore quelque-chose à se reprocher ?

Rue de Thorigny

Rue du Roi Doré aller-retour

Elle perd évidemment le ’roi’ de son nom en 1792, pour s’appeler plus simplement rue Dorée.
7 : Demeure d’Honoré de Balzac, venant de Villeparisis avec ses parents, de novembre 1822 à 1824.

Rue de Thorigny à gauche

20 : Planque d’André Bréchet, arrêté en tant que responsable communiste de Paris. Il est guillotiné à la Santé comme otage, au simple titre de son appartenance politique, sur ordre de Pétain qui se conforme ainsi aux exigence de l’occupant nazi après l’attentat de Fabien au métro Barbès. Au moment de son exécution, le 28 août 1941, il crie "vive le Parti Communiste !".

Rue Ste Anastase

14 puis 12 : Demeure de Julienne Gauvain, alias Juliette Drouet. En 1833 Hugo installe ici sa maîtresse, non loin de la place des Vosges où il demeure, pour des raisons évidentes de commodité.
Bien que participant à la répression de l’insurrection, il intervient le 26 juin 1848 pour sauver de l’exécution sommaire quatre Insurgés, dont un certain Auguste, qui s’étaient réfugiés au 12 dans un grenier. Toujours tiraillé, notre cher grand homme...

Rue de Turenne à droite

60 : Hôtel du Grand Veneur, demeure en 1686 du chancelier Boucherat, qui appliquera la révocation de l’Édit de Nantes avec la plus grande brutalité ; une honte sur le plan politique et humain, une catastrophe pour la France sur le plan économique, au passif du roi mégalo-soleil.
56 : Demeure, à partir de 1654, du poète Paul Scarron, auteur du "Roman comique". Il meurt ici en 1660. Sa veuve, Françoise d’Aubigné, sera la future Mme de Maintenon.
Ce sera également la demeure de Lesage, auteur de "Gil Blas de Santillane", de 1715 à 1735.
Et, de 1741 à sa mort en 1762, celle de Prosper Jolyot de Crais-Billon, dit Crébillon père, clerc de procureur, dramaturge, précurseur du "Grand Guignol".
54 : École communale de la rue St Louis dans l’ancien Hôtel de Montrésor.
Elle abrite le club des Travailleurs du Marais pendant la révolution de 1848. Turmel en est le président, Masson le vice-président, et Piot le secrétaire.
Entre 1861 et 1884 s’y installe la Bibliothèque des Amis de l’instruction, créée par des Proudhoniens dont Simon Dereure, Louis Trinquet, Émile Clément, Napoléon Gaillard. Il s’agit du plus ancien salon de lecture à Paris créé par et pour des ouvriers.
Encore un puits dans cette belle cour datant de la fin du XVIème siècle.

Rue du Parc Royal

Elle fut bien entendu rebaptisée rue du Parc National pendant la Révolution.
4 : Demeure de Théophile Gautier alors qu’il avait 18 ans, en 1829. Nous sommes à l’époque de la naissance du "Romantisme".
8 : La marquise de Sévigné se réfugie chez ses cousins Coulanges en 1671 et 1672 pour fuir la variole qui sévit rue de Thorigny.
10 : La Commune prend en charge des orphelins laissés à l’abandon par les responsables d’une œuvre soi-disant caritative réfugiés à Versailles.
C’est l’ancien Hôtel de Vigny. Un bras de pompe à eau reste visible dans la cour.

Rue de Sévigné

52 : Demeure de Jacques de Flesselles, dernier Prévôt des Marchands de Paris, abattu le 14 juillet 1789 pour complicité avec la Cour. Il avait ce même jour écrit à de Launay, gouverneur de la Bastille, un billet disant : « J’amuse les Parisiens avec des cocardes et des promesses ; tenez bon jusqu’au soir et vous aurez du renfort ».
50 : Une des très nombreuses adresses de Charles Baudelaire, en décembre 1840.
29 : Demeure de Louis Michel Le Peletier de Saint-Fargeau et de son frère Félix de 1785 à 1793.
26 : Demeure de Lazare Lévy, ouvrier opticien, adhérent à l’Association Internationale des Travailleurs dès 1864, membre de la Commission ouvrière de 1867 et secrétaire de la délégation qui se rendit à l’exposition universelle de Londres cette même année.
Demeure également d’A. Harlé, mécanicien, signataire du programme électoral de l’A.I.T. intitulé "Aux électeurs de 1869". Les dirigeants de l’Association Internationale des Travailleurs, dont Eugène Varlin, sont alors en prison.
Demeure enfin, plus récemment, jusqu’à sa mort en 1963, du peintre surréaliste André Masson. Il réalisa entre autres le plafond du théâtre de l’Odéon.
25 : Demeure de Jean-Pierre Lanquet, voyageur de commerce, élu lieutenant du 89ème bataillon de la Garde nationale Fédérée en 1871.
23 : Hôtel de Kernevenoy, dont les parisiens — ces incorrigibles déformateurs de noms — ont fait l’Hôtel "Carnavalet", plus évocateur il est vrai de fêtes et réjouissances…
Il est l’œuvre de Pierre Lescot en 1544, décoré par Jean Goujon. François Mansart le transforma en 1655.
Il fut la dernière adresse parisienne de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, qui mourut à Grignan en 1696.
L’école des Ponts et Chaussées s’y installa en 1808.
Il est aujourd’hui le musée d’Histoire de la Ville de Paris.
La statue de Louis XIV qui se trouve dans sa cour d’entrée est la seule représentation royale qui n’ait pas été détruite en août 1792. Elle se trouvait alors à l’Hôtel de Ville. La "chute" de la royauté fut aussi un phénomène physique…
14 : Ici, dans ce qui était alors la rue de la Culture Ste Catherine, une barricade dressée le 23 juin 1848 fut l’objet de violents combats opposant les Insurgés à la première légion de la garde nationale commandée par le général Clément Thomas ; celui-là même qui devait être exécuté à Montmartre par ses propres soldats le 18 mars 1871, entre autres en souvenir de ses faits d’armes contre le peuple parisien.
11 : Le mur au fond de cette cour est un vestige de la prison de la Grande Force, construite en 1782. Elle allait être, dix ans plus tard, un des théâtres des massacres de Septembre. Elle fut démolie en 1845.
En 1790, on construisit ici pour Beaumarchais, avec des pierres de la Bastille, le troisième Théâtre du Marais. Il prit le nom d’Athénée des Étrangers. On y joua en septembre 1791 la première représentation de "La mère coupable". Napoléon 1er le ferma en 1807, en même temps que 17 autres petits théâtres parisiens. Quand j’entends le mot culture, disait en d’autres temps un de ses continuateurs, je sors mon revolver !...
7-9 : Emplacement de l’ancien Hôtel d’Anjou, pillé par les Maillotins le 1er mars 1382. Louis d’Anjou, un des oncles et conseillers du roi Charles VI, était accusé parmi d’autres de s’enrichir en alourdissant les impôts. Cela déclencha dans tout le royaume des révoltes populaires. Les parisiens réglèrent leurs comptes avec les percepteurs à coup de massues de plomb destinées à la défense de la ville ; d’où le nom qui leur fut donné.
5 : Dispensaire des pauvres créé par François-Vincent Raspail, médecin et militant politique, promoteur du suffrage universel. C’est lui qui proclama la Seconde République à l’Hôtel de Ville le 26 février 1848.
1 : Emplacement du "cimetière aux anglais", aménagé lors de l’occupation de Paris par les troupes du duc de Bedford pendant la guerre de cent ans, de 1420 à 1435.

Nous débouchons sur la rue St Antoine

C’est là que se termine la première partie de notre visite du Marais.